Chapitre 16

Arthur la récupère et vérifie que Mino n’est plus à l’intérieur.

-   Yes !! s’exclame-t-il en constatant que la paille est vide.

Il met une petite pierre pour boucher le trou et récupère la soucoupe pleine de rubis.

Il serait temps qu’elle arrive, cette soucoupe au trésor, car Archibald ne sait plus quoi inventer pour gagner du temps. Il a de l’encre plein les mains et tripote son stylo qu’il a pris soin de démonter en trois parties.

-    C’est incroyable ! Un stylo qui jamais ne m’a trahi ! Et voilà qu’au pire des moments, celui de signer ces papiers si importants, il me lâche ! explique le grand-père, plus bavard que jamais. C’est un ami suisse qui me l’avait offert et, comme vous le savez probablement, les Suisses ne sont pas uniquement spécialistes en horlogerie et en chocolats, ils fabriquent aussi d’admirables stylos !

Davido, excédé, lui met son Mont-Blanc sous le nez.

-    Tenez ! Celui-là aussi il vient de Suisse ! Maintenant, signez ! On a perdu assez de temps comme ça !

Le propriétaire ne tolérera plus une seule diversion. Ça se lit dans son regard.

-    Ah ?... euh... oui, bien sûr ! balbutie Archibald, à court d’idées.

Il gagne encore quelques secondes en admirant le stylo.

-   Magnifique ! Et... il écrit bien ? ajoute le grand-père.

-  Essayez-le vous-même ! lui répond Davido, plutôt habile sur ce coup-là.

Archibald n’a plus le choix et il signe le dernier papier.

Le propriétaire le lui arrache aussitôt des mains et le range dans le dossier.

-  Voilà ! Vous êtes maintenant propriétaire ! lance Davido, le visage un peu crispé.

-  Formidable ! répond Archibald qui sait que ce n’est pas si simple. Il a rempli tous les papiers, mais n’a pas réglé le principal.

-   ... L’argent ! demande Davido en tendant la main.

Il sait que c’est sa dernière chance. L’acte de propriété n’aura de valeur qu’au moment où Archibald se sera acquitté de la somme à payer et, pour l’instant, il ne l’a pas. Le vieil homme adresse aux deux policiers qui entourent Davido un sourire qui demande de l’aide. Malheureusement, les deux représentants de l’ordre ne peuvent pas grand- chose pour lui.

Davido sent le vent tourner, en sa faveur. C’est déjà un miracle que ce vieil homme soit réapparu au dernier moment. Il n’y aura pas deux miracles dans la journée. Davido ouvre le dossier, saisit les actes et se prépare à les déchirer.

-  Pas d’argent... pas de document ! dit l’infâme propriétaire qui compte bien le rester.

La porte d’entrée s’entrouvre et tout le monde tourne la tête dans sa direction.

C’est une curiosité bien naturelle quand on attend un miracle. En l’occurrence, ce petit miracle est très poli. Il entre par la porte et essuie bien ses pieds avant d’entrer.

Arthur traverse le salon, en prenant soin de prendre les patins, et s’avance jusqu’à la table, où l’assistance l’attend comme le messie.

Arthur pose délicatement la soucoupe pleine de rubis devant Archibald.

La grand-mère retient son émotion, le grand-père son admiration.

Davido, quant à lui, retient sa respiration.

Arthur, lui, sourit, tout simplement. Il est heureux. Archibald jubile. Il va enfin pouvoir s’amuser un peu.

-   Alors !... dit-il en regardant les rubis, les bons comptes faisant les bons amis, commandement numéro cinquante... Il choisit un rubis et se décide pour le plus petit. Vous voilà payé !... rubis sur l’ongle ! ajoute-t-il en posant la petite pierre devant Davido, médusé.

Les deux policiers soupirent d’aise sans faire de bruit. Ils sont tellement soulagés par cet heureux dénouement.

La grand-mère pose un petit coffre à bijoux sur la table. Elle attrape la soucoupe et en vide le contenu à l’intérieur.

-  Ils seront plus en sécurité là-dedans et en plus, je cherchais cette soucoupe depuis quatre ans ! dit-elle, avec humour, en récupérant l’assiette.

Archibald et Arthur laissent échapper un petit rire. Pas Davido. Il ne rit pas du tout, Davido.

-  Monsieur, je vous dis adieu ! dit Archibald en se levant et en lui indiquant la sortie qu’il est prié de rejoindre.

Davido a les jambes coupées. Il est incapable de se lever. Les deux policiers, pour ne pas alourdir la situation, saluent les grands-parents en portant la main à la casquette et se dirigent vers l’entrée, montrant ainsi l’exemple et le chemin. Davido, dévasté, acculé, sent ses nerfs lâcher, les uns après les autres.

Un tic nerveux apparaît au coin de sa paupière et son œil se met à clignoter, comme s’il allait doubler. Tel un saoulard au volant atteint de folie.

Il n’est pas très long le chemin qui mène de la haine à la folie, et Davido semble maintenant prêt à le franchir.

Il ouvre sa veste et sort un pistolet de la Deuxième Guerre et, vu qu’on est en période de paix, personne n’hésite sur le sens à donner à ce geste.

-  Personne ne bouge ! s’écrie-t-il.

Les deux policiers tentent bien un mouvement en direction de leur arme, mais sa folie l’a rendu très vif.

-  Personne, j’ai dit !! hurle-t-il à nouveau, plus convaincant que précédemment.

L’assistance en reste sans voix. Personne n’avait imaginé que cette crapule puisse aller jusque-là.

Davido profite de l’étonnement général pour glisser le petit coffre plein de rubis sous son bras.

-   C’était donc pour ça que vous vouliez absolument notre terrain ? lui demande Archibald, qui commence à comprendre.

-  Eh oui ! L’appât du gain ! Encore et toujours ! ricane-t-il, le regard un peu fou.

-   Comment saviez-vous que le jardin abritait ce trésor ? demande le grand-père, désireux d’éclaircir ce mystère.

-   C’est vous qui me l’avez dit, bougre d’âne ! s’énerve Davido, son arme toujours pointée sur eux.

-    Un soir, nous étions tous les deux au bar des Deux Rivières ! hurle-t-il, comme pour évacuer une pression trop longtemps contenue. Nous fêtions l’armistice et vous êtes parti dans vos histoires de ponts et de tunnels, d’Africains petits et grands, et surtout de trésor ! Des rubis que vous aviez ramenés d’Afrique et soigneusement enterrés dans le jardin ! Tellement bien rangés que vous étiez incapable de savoir où ! Ça vous faisait beaucoup rire et moi ça m’a fait pleurer toutes les nuits ! Je n’ai plus jamais fermé l’œil de la nuit, rien que de savoir que vous dormiez paisiblement sur un trésor, sans savoir où il était !

-   Désolé d’avoir à ce point perturbé votre sommeil ! lui répond Archibald, froid comme un pic à glace.

- C’est pas grave ! Je vais me rattraper maintenant que j’ai le trésor ! C’est vous qui n’allez plus dormir ! assure Davido qui commence à reculer vers la sortie.

-  Vous savez Davido, ce n’est pas le trésor qui vous empêchait de dormir, c’est votre avidité.

-   Mon avidité est aujourd’hui bien assouvie et je vous promets de bien dormir ! Je vais aller dormir aux Caraïbes ! L’Afrique, c’est pas mon truc ! répond la crapule, qui n’a pas vu les cinq lances que pointent dans son dos cinq Matassalaïs.

-   L’argent ne fait pas le bonheur, Davido, c’est l’un des tout premiers commandements, et vous n’allez pas tarder à le comprendre ! dit Archibald, peiné de voir ce pauvre fou tomber dans un piège qu’il a tissé lui-même.

Les cinq lances picotent le dos du fuyard qui comprend que la chance est en train de tourner, comme un ciel tourne à l’orage. Davido n’ose plus bouger et les deux policiers en profitent pour le désarmer.

Le chef africain récupère la boîte à bijoux, tandis que les policiers passent sans ménagement les menottes à Davido et le poussent vers la sortie.

Ils ne lui laissent pas le temps d’ajouter un seul mot. Même pas adieu.

Le chef matassalaï s’approche d’Archibald et lui confie la boîte à bijoux.

-   La prochaine fois, range un peu mieux les cadeaux qu’on te fait ! lui dit le chef, avec un sourire immense.

-   C’est promis ! répond Archibald qui sourit mais a bien retenu la leçon.

Arthur saute enfin dans les bras de sa grand-mère et profite pleinement de ce câlin bien mérité.

Pendant ce temps, la mère d’Arthur se prend des baffes, pas bien méchantes, mais des baffes quand même.

Il n’y a que ça qui pourrait la réveiller. Son mari passe un bras dans son dos pour la redresser.

La première chose qu’elle aperçoit en ouvrant les yeux, c’est Davido menottes aux poignets que les deux policiers jettent à l’arrière de leur voiture.

La mère fronce un peu les sourcils, persuadée d’être à nouveau dans un mauvais rêve.

-  Ça va mieux chérie ? ! lui demande gentiment son mari. Elle ne répond pas tout de suite. Probablement pour voir si la voiture de police, toutes sirènes dehors, va s’envoler ou non dans le ciel.

La voiture fait beaucoup de poussière, mais reste bien sagement sur la route.

Elle est donc bien dans la réalité.

-  Très bien ! finit-elle par répondre avec un peu de retard, avant de se lever et d’arranger un peu sa robe. Elle regarde tous les trous que son mari a faits autour d’elle.

-  Tout va très bien ! continue-t-elle, comme si de rien n’était. Elle n’a visiblement pas retrouvé tous ses esprits, et ses diverses chutes ont dû lui abîmer le ciboulot.

- Je vais ranger un peu ! dit-elle, comme s’il s’agissait d’une cuisine.

Elle attrape sa pelle et commence à reboucher les trous.

Son mari la regarde, impuissant. Il finit par soupirer et s’asseoir au bord d’un trou. Il n’y a plus qu’à attendre et espérer que l’état de sa femme soit provisoire.

En attendant... c’est pratique ! ne peut-il s’empêcher de penser en voyant sa femme tasser la terre du premier trou qu’elle a fièrement rebouché.